En France, les troubles liés au travail explosent.
Selon le dernier baromètre Empreinte Humaine 2024, 44 % des salariés se déclarent en détresse psychologique, et 17 % présentent un risque élevé de burn-out.
Des chiffres alarmants, mais derrière ces pourcentages, il y a des histoires : des personnes qui s’épuisent, tombent malades… et peinent ensuite à faire reconnaître que leur souffrance vient du travail.
La reconnaissance en maladie professionnelle reste encore trop méconnue, voire entourée de flou.
Qui peut y prétendre ? Comment la faire reconnaître ? Et surtout, quels sont les droits concrets qu’elle ouvre ?
Pour y voir plus clair, j’ai de nouveau invité Guillaume Delord, avocat en droit du travail et fondateur du cabinet Instant Avocat.
Spécialisé dans l’accompagnement des salariés en souffrance, Guillaume nous explique ici, avec pédagogie et bienveillance, tout ce qu’il faut savoir sur la maladie professionnelle : définition, démarches, pièges à éviter et protections associées.
Si toi aussi tu t’interroges sur la frontière entre mal-être et atteinte à la santé, ou si tu veux simplement connaître tes droits, cet article va t’être précieux ❤️
Agréable lecture à toi 👀
Hola Guillaume. Heureuse de t’accueillir une 2e fois ici, et bienvenue à nouveau à toi.
Partant pour te (re)présenter en quelques mots stp ?
Je suis Guillaume Delord, avocat en droit du travail et fondateur du cabinet Instant Avocat.
J’accompagne spécifiquement les personnes en souffrance au travail, le plus souvent à la suite d’un burn-out ou d’une dégradation de leur santé psychique.
Mon rôle, c’est de les aider à trouver les armes juridiques pour rebondir : souvent par une sortie négociée de l’entreprise, après une période d’arrêt qui permet de se reconstruire, et parfois en parallèle d’une démarche de reconnaissance en maladie professionnelle.
Mon approche est de toujours préciser aux personnes que j’accompagne qu’il faut privilégier leur santé avant leur dossier juridique.
Concrètement, qu’est-ce qu’une maladie professionnelle selon le droit du travail ?
C’EST QUOI UNE MALADIE PROFESSIONNELLE
Une maladie professionnelle est une affection contractée dans le cadre de l’activité professionnelle et causée par celle-ci.
En pratique, on distingue deux grands cas de figure :
- Les maladies inscrites dans des tableaux, qui définissent des conditions précises. Si ces conditions sont remplies, la maladie est présumée d’origine professionnelle.
- Les maladies “hors tableau”, qui ne correspondent à aucune liste. Celles-ci demandent une procédure de reconnaissance spécifique pour prouver le lien avec le travail.
C’est souvent le cas pour les troubles psychiques — burn-out, syndrome anxio-dépressif, etc. — qui ne figurent pas dans les tableaux et doivent donc être reconnues selon une procédure particulière.
Et quelle différence entre une maladie professionnelle et une maladie liée au travail ?
LA DIFFÉRENCE ENTRE MALADIE PROFESSIONNELLE ET MALADIE LIÉE AU TRAVAIL
La distinction est essentielle.
Une maladie professionnelle est une maladie dont l’origine professionnelle est légalement reconnue. Cette reconnaissance officielle ouvre droit à une indemnisation spécifique et à une protection particulière du salarié.
L’expression “maladie liée au travail”, au sens courant, désigne une maladie dont on sent bien qu’elle vient du travail, mais qui ne remplit pas (ou pas encore) les conditions légales pour être reconnue. En soi, cette expression n’a pas de sens juridique propre et n’ouvre aucun droit spécifique.
Cependant, même sans reconnaissance officielle en maladie professionnelle, le fait de pouvoir prouver que la dégradation de sa santé est liée au travail est un argument important dans un contentieux prud’homal, notamment pour faire valoir la responsabilité de l’employeur.
Quels sont les critères retenus pour qu’une maladie soit reconnue comme professionnelle ?
LES CRITÈRES D’UNE MALADIE PROFESSIONNELLE
Il y a deux voies possibles :
Si la maladie figure dans un tableau
La reconnaissance est simplifiée par une présomption d’imputabilité.
L’instruction consistera simplement à vérifier que les conditions du tableau sont remplies (délai de prise en charge, durée d’exposition, liste des travaux effectués).
Si c’est le cas, la maladie est reconnue. C’est le cas de nombreuses affections physiques, comme le syndrome du canal carpien.
Si la maladie est “hors tableau”
La reconnaissance reste possible via le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP), mais la procédure est plus exigeante.
Deux conditions cumulatives doivent être remplies :
- la maladie doit être essentiellement et directement causée par le travail habituel ;
- elle doit entraîner soit le décès, soit une incapacité permanente d’au moins 25 %.
Dans ce cas, la charge de la preuve repose entièrement sur le salarié.
Malheureusement, la plupart des pathologies liées à la souffrance psychique (burn-out, dépression réactionnelle, etc.) ne sont pas inscrites dans les tableaux et doivent donc passer par cette voie plus difficile.
La plupart des pathologies liées à la souffrance psychique (burn-out, dépression réactionnelle, etc.) ne sont pas inscrites dans les tableaux et doivent donc passer par cette voie plus difficile.
Et quelles sont les démarches à suivre pour faire reconnaître une maladie professionnelle ?
FAIRE RECONNAÎTRE UNE MALADIE PROFESSIONNELLE
D’abord, le salarié doit obtenir de son médecin un certificat médical initial constatant la maladie.
Ensuite, il doit envoyer une déclaration de maladie professionnelle à sa Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).
L’instruction par la CPAM dure ensuite plusieurs mois.
Pour les maladies hors tableau, elle consiste souvent à remplir un questionnaire détaillé, à fournir des pièces justificatives, et parfois à être entendu lors d’une enquête contradictoire menée par la Caisse.
Le dossier est finalement soumis à l’avis d’un comité de médecins, le CRRMP..
Peux-tu nous donner un aperçu des droits concrets qu’on obtient une fois la maladie reconnue ?
LES DROITS DE LA MALADIE PROFESSIONNELLE
Les droits principaux sont les suivants :
- Prise en charge à 100 % des frais médicaux liés à la maladie.
- Indemnités journalières majorées, versées sans délai de carence.
- En cas de séquelles, une rente d’incapacité permanente, qui — contrairement à une pension d’invalidité — est viagère. Le montant dépend du taux d’incapacité (rente si taux ≥ 10 %, capital si < 10 %).
- Une indemnité temporaire d’inaptitude d’un mois si le salarié est déclaré inapte.
- En cas de licenciement pour inaptitude, l’indemnité légale de licenciement est doublée.
- Cela ouvre aussi la possibilité d’une action en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur, permettant d’obtenir une indemnisation complémentaire parfois très importante.
Il faut noter que, pour un salarié bénéficiant d’un bon contrat de prévoyance, l’impact des indemnités journalières majorées peut être limité, car la prévoyance vient souvent en déduction.
Enfin, la reconnaissance peut ouvrir la voie à une réparation plus complète des préjudices subis.
Merci pour cette liste.
Et est-ce que la reconnaissance en maladie professionnelle protège contre le licenciement ?
MALADIE PROFESSIONNELLE ET LICENCIEMENT
Elle ne bloque pas totalement le licenciement, mais elle le rend beaucoup plus difficile.
Un licenciement pour faute grave ou pour motif économique reste possible.
Cependant, elle offre une protection très forte contre un motif de licenciement peu connu : le licenciement pour trouble objectif au fonctionnement de l’entreprise, causé par une absence prolongée.
En effet, la jurisprudence considère que l’employeur ne peut pas se prévaloir d’un trouble qu’il a lui-même causé par ses manquements.
Obtenir une reconnaissance en maladie professionnelle est donc un argument très fort pour contester ce type de licenciement devant le conseil de prud’hommes.
C’est une protection particulièrement dissuasive.

Si jamais la CPAM refuse la reconnaissance, que peut-on faire ? Et combien de temps dure la procédure ?
RECONNAISSANCE REFUSÉE
En cas de refus, il est possible de former un recours :
- d’abord un recours amiable devant la Commission de recours amiable (CRA) ;
- puis, en cas de rejet, un recours contentieux devant le pôle social du tribunal judiciaire.
Les délais et voies de recours sont toujours précisés sur la décision de refus.
Il faut être lucide : si la procédure devient judiciaire, elle peut durer plusieurs années.
C’est pourquoi un recours ne doit pas être systématique.
Avant de se lancer, il faut peser le pour et le contre, car il est très probable que le salarié ait déjà quitté l’entreprise (départ négocié, inaptitude, etc.) bien avant la fin de la procédure.
Un tel recours ne se justifie que si l’intérêt est réel et concret, notamment en matière de droits sociaux (par exemple, l’obtention d’une rente significative).
L’essentiel est donc de préparer au mieux le dossier pendant la phase d’instruction, car il est souvent difficile et peu pertinent de contester un refus ensuite.
Quel rôle peut jouer un avocat en droit du travail dans ces situations ?
LE RÔLE D’UN AVOCAT EN DROIT DU TRAVAIL
Le premier rôle de l’avocat, c’est d’aider le client à juger de la pertinence de la démarche, surtout dans les cas hors tableau.
Ce n’est pas parce qu’on peut obtenir une reconnaissance qu’il faut forcément le faire.
C’est une procédure lourde, qui peut être une épreuve et parfois contre-productive, selon la situation (volonté ou non de négocier son départ, dispositions prévues par la prévoyance, etc.).
Mon travail consiste à aider à prendre de la hauteur, à poser les bonnes questions, notamment sur le résultat recherché par une telle procédure.
Une fois la décision prise, mon rôle est d’anticiper les difficultés et de construire le dossier le plus solide possible, en m’appuyant sur l’expérience des dossiers déjà acceptés ou refusés.
On ne peut jamais garantir un succès, mais on peut souvent anticiper quand un dossier a peu de chances d’aboutir et adapter la stratégie en conséquence.
Que dirais-tu à un salarié qui hésite à lancer cette démarche ?
QUE FAIRE EN CAS D’HÉSITATION
Je lui dirais qu’il fait bien d’hésiter, car il y a deux écueils à éviter :
1) Le défaitisme
Ne pas oser se lancer en pensant que “c’est impossible” ou que “personne n’est jamais reconnu”.
C’est faux. J’accompagne très régulièrement des salariés qui obtiennent cette reconnaissance, et cela a un impact énorme sur leur reconstruction.
2) L’impulsivité
Se lancer “par principe”, sans objectif précis, simplement parce qu’on estime y avoir droit.
C’est une erreur, car la procédure peut être contre-productive si elle n’est pas menée pour les bonnes raisons et avec une stratégie claire.
Il faut donc aborder la question de manière lucide et stratégique.
Et terminons en beauté avec cette question que je pose à tous mes invités.
Quel est le meilleur conseil carrière que tu n’aies jamais reçu ou que tu pourrais donner ?
Après mon premier conseil — ne pas s’épuiser au travail, car l’entreprise s’en remettra, mais pas forcément vous — j’en donnerais un deuxième, adapté à notre époque.
Nous vivons une période d’hyperproductivité, accentuée par la technologie et l’intelligence artificielle.
Même les travailleurs les plus solides peuvent traverser une phase de souffrance majeure.
Il faut donc anticiper ce risque : ne pas s’enfermer dans un poste unique, ne pas être prisonnier de ses charges, et garder la possibilité de rebondir.
Mon conseil est le suivant :
Anticipez le risque de ne plus pouvoir tenir et organisez votre indépendance pour ne pas être prisonnier de votre poste.
Trop de personnes que j’accompagne ont tiré sur la corde jusqu’à ce que leur santé lâche, simplement parce qu’elles ne pouvaient pas se permettre de perdre leur emploi à cause de leurs engagements financiers (crédits, etc.).
C’est dramatique, car elles finissent de toute façon par s’arrêter ou se faire licencier, mais dans un état de santé dégradé.
Anticiper, cela veut dire concrètement :
- vérifier que vos assurances de prêt immobilier couvrent bien les arrêts de travail pour burn-out ;
- rester agile et mobile, éviter les postes de niche dans des régions peu dynamiques.
Il est devenu vital de toujours prévoir une solution de sortie pour ne pas être prisonnier.
On ne peut pas tirer sur la corde indéfiniment.
Évidemment, j’ai bien conscience que tout le monde ne peut pas le faire, et il existe en France des solutions pour maintenir au mieux son niveau de vie pendant un arrêt.
C’est même un des points que je vérifie dans mes consultations.
Cependant, il faut garder cette idée en tête et, quand c’est possible, prendre le maximum de précautions à ce sujet.
Anticipez le risque de ne plus pouvoir tenir et organisez votre indépendance pour ne pas être prisonnier de votre poste.
Mille mercis Guillaume, échange super précieux et plein de conseils concrets❤️.
Si tu souhaites aller plus loin, tu peux retrouver Guillaume sur LinkedIn, ou faire appel à ses ressources gratuites ici.
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A lire aussi : Harcèlement moral au travail – Les conseils d’un avocat (Le 1er article interview avec Guillaume)
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