L’intergénérationnel au travail est presque inévitable, et pourtant rares sont les entreprises et les collaborateurs qui en ont fait une priorité en 2025.
Comment travailler efficacement et intelligemment entre générations ? Quelles erreurs éviter et quelle attitude adopter pour faire de l’intergénérationnel un vrai levier dans le cadre de son évolution professionnelle ?
J’ai posé toutes ces questions à Frédérique Jeske, experte sur le sujet, et autrice du livre « Le choc des générations n’existe pas ».
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Hello Frédérique, ravie de t’accueillir pour cette interview et bienvenue à toi.
Si tu devais te présenter en quelques mots, que dirais-tu ?
Je suis une senior entrepreneure 😊.
Après plus de 30 ans de management dont 20 ans de direction générale (agence de communication, Medef, fédération Réseau entreprendre, ligue contre le cancer), j’ai créé mon cabinet expert de la transformation durable, USKOA, à 57 ans.
J’accompagne les entreprises engagées dans leur transformation managériale et sociale, avec un focus sur la transition démographique, l’inclusion des seniors et les dynamiques intergénérationnelles.
Je suis un peu « slasheuse », puisque je suis aussi :
- executive coach de dirigeants,
- administratrice indépendante,
- auteure de plusieurs livres professionnels aux Editions Eyrolles (le dernier paru en 2024 s’appelle « le choc des générations n’existe pas »), experte pour BFM business et courriers cadres,
- présidente de l’association citoyenne Senior for good que j’ai créée pour lutter contre l’âgisme au travail,
- Et je partage mes convictions et engagements sur linkedin où je suis top voice depuis 2020.
Quel parcours inspirant !
Pour commencer, peux-tu nous expliquer ce qu’on entend exactement par « intergénérationnel au travail » ?
INTERGÉNÉRATIONNEL AU TRAVAIL C’EST QUOI ?
La transition démographique en cours a généré une situation inédite puisqu’aujourd’hui nous avons au travail 4, voir 5 générations qui se côtoient.
Avec l’augmentation de la durée du travail, il peut y avoir 40, 45 ans d’écart entre deux collègues ! Cette cohabitation intergénérationnelle est d’une richesse exceptionnelle, à condition de sortir des idées reçues sur les générations et d’animer de collectif diversifié.
Aujourd’hui, il est important de prendre en considération la dimension intergénérationnelle du travail, car même si les évolutions des attentes des actifs face au travail sont communes à tous, elles peuvent s’exprimer différemment en fonction de nos âges et générer des difficultés à bien être et faire ensemble.
Est-ce que tu observes souvent des tensions ou des malentendus entre générations dans les entreprises ?
Si oui, à propos de quoi principalement ?
LES MALENTENDUS ENTRE GÉNÉRATIONS
Oui malheureusement, c’est fréquent et j’interviens très souvent chez mes clients justement pour déconstruire les raisons de ces tensions et malentendus.
Nous sommes souvent victimes de stéréotypes et préjugés liés à l’âge, qui sont portés d’ailleurs par les médias et certains « experts » qui ont inventé les fameuses cases des générations : boomer, X, Y, Z, qui sont en réalité tout à fait absurdes, tant elles divisent et opposent.
A force de dire à tout le monde que les jeunes sont différents ou que les vieux sont has been, tout le monde finit par le croire et nos biais cognitifs et nos stéréotypes pilotent nos relations.
C’est comme ça que tu vas entendre par exemple les plus jeunes se plaindre que les anciens ne les écoutent pas et ne comprennent rien au numérique ou les plus seniors se plaindre que les plus jeunes ne savent plus bosser et sont arrogants…
On prend appui sur ce qui nous divise, plutôt que sur ce qui nous rassemble !
Et je suis convaincue que nous avons besoin aujourd’hui, pour plus de bien-être au travail, de prendre appui sur nos communs et sur le plaisir à faire ensemble, à jouer collectif, sans ces barrières de l’âge qui nous enferment.
On prend appui sur ce qui nous divise, plutôt que sur ce qui nous rassemble !
Et quels sont, selon toi, les plus gros clichés que les jeunes ont sur les seniors, et inversement ?
LES CLICHÉS DES JEUNES SUR LES SENIORS ET INVERSEMENT
Ce sont toujours les mêmes et souvent un stéréotype répond à l’autre, c’est-à-dire qu’un stéréotype négatif pour l’un sera positif pour l’autre et vice et versa.
Par exemple, un jeune est considéré comme créatif et innovant et le senior ne l’est pas. Un senior est considéré comme loyal et sérieux et le jeune ne l’est pas.
Les clichés sur les jeunes
Les plus gros clichés sur les jeunes sont souvent : ils sont fainéants, ils ne respectent plus l’autorité, ils ne savent plus travailler, ils ne pensent qu’aux réseaux sociaux etc.
Les clichés sur les seniors
Pour les seniors, ça va plutôt être : ils sont trop chers, ils sont fatigués, en mauvaise santé, ils ne comprennent rien à internet et à l’informatique, ils sont rigides et réfractaires au changement.
Comme si des millions de personnes seraient identiques, en fonction de leur date de naissance !

Est-ce que tu aurais un exemple inspirant d’entreprise ou d’équipe qui a su tirer parti de cette diversité d’âges ?
LA DIVERSITÉ D’ÂGE EN ENTREPRISE
J’ai personnellement vécu la force de la coopération intergénérationnelle quand je dirigeais des ONG et réseaux associatifs comme Réseau Entreprendre et la Ligue contre le cancer.
A la ligue contre le cancer par exemple, nous avions d’une part de nombreux jeunes en service civique ou jeunes experts du marketing digital dans les équipes et d’autre part de nombreux bénévoles seniors souvent retraités !
Cette alchimie intergénérationnelle était exceptionnelle et c’est ce qui m’a convaincue de l’importance à accompagner les entreprises dans l’animation des collectifs multigénérationnels.
Est-ce qu’il y a des dispositifs, des rituels ou des formats concrets qui favorisent la collaboration intergénérationnelle ?
COMMENT FAVORISER LA COLLABORATION INTERGÉNÉRATIONNELLE
1re étape
Ce qui est essentiel dans une première étape, c’est de sensibiliser les collaborateurs (et leurs managers) aux biais cognitifs et stéréotypes liés à l’âge, pour les déconstruire et éviter tensions et difficultés relationnelles liés à ces préjugés.
2e étape
Ensuite, il s’agit de faire ensemble, car c’est dans l’action que les liens se créent et que les relations se renforcent.
Créer des espaces de rencontres entre générations, développer la compréhension mutuelle, apprendre ensemble… sont impératifs pour faire évoluer nos perceptions et représentations.
Des exemples
De nombreux rituels et dispositifs peuvent accompagner cette volonté de sortir des silos : binômes et groupes projets intergénérationnels, mentorat croisé, rôles modèles et valorisation de binômes intergénérationnels, évènements de valorisation des juniors et des seniors…
Pour avoir mis en place tous ces dispositifs dans les organisations que j’accompagne, je peux vous garantir que c’est très performant.
Quels conseils tu donnerais à un jeune salarié qui n’ose pas trop s’affirmer face à des collègues plus âgés ?
COMMENT S’AFFIRMER FACE A DES COLLEGUES PLUS ÂGÉS
Je lui dirais d’oser être soi-même (l’affirmation de soi passe forcément par l’authenticité) et de se mettre à l’écoute de ses collègues.
Chacun a des choses à apprendre des autres, quel que soit son âge et un regard neuf est très précieux pour l’entreprise et l’équipe.
En s’ouvrant au dialogue, aux échanges, en osant parfois demander de l’aide ou des conseils à des collègues plus expérimentés et aussi en donnant son avis, il est possible de prendre sa place, même quand on est très jeune.
En montrant sa bonne volonté et son implication, il est plus facile de s’affirmer !
Et à un salarié senior qui a du mal à trouver sa place dans une équipe très jeune ?
COMMENT TROUVER SA PLACE DANS UNE ÉQUIPE TRES JEUNE
Je lui dirais d’être fier de soi et de son chemin de vie et d’assumer son âge et son expérience. De s’ouvrir aux autres manières de faire et d’accepter de partager et de recevoir les expériences.
Quand on est senior, on a l’expérience, les compétences, le savoir-faire et le savoir être et même parfois la mémoire de l’entreprise, ça fait beaucoup à partager ! Il est toutefois essentiel aussi de ne pas faire preuve de trop d’ego et de certitudes : aider les jeunes oui, mais aussi accepter de se mettre en question et de se faire aider aussi. Donner et recevoir.
Enfin, n’hésitez pas à faire preuve d’humour, de légèreté dans la relation. C’est important aussi pour créer et renforcer les liens au-delà des différences d’âge !
Et quel est le risque, selon toi, pour une entreprise qui ne mise pas sur le dialogue entre générations ?
L’IMPORTANCE DU DIALOGUE ENTRE GÉNÉRATIONS
Il y a de nombreux risques en réalité à ne pas prendre en considération l’enjeu intergénérationnel : perte d’innovation et de créativité, baisse de l’engagement des salariés en raison des discriminations par l’âge, déficit de marque employeur, difficultés à recruter et à fidéliser les talents, et déficit de ressources qualifiés dans les années à venir.
C’est un enjeu tout à fait systémique dans l’entreprise, qui touche tous les sujets RH, de l’onboarding au départ des salariés, les sujets de diversité et inclusion, les enjeux de la RSE, et aussi la culture managériale de l’entreprise.
Et si tu devais résumer en une phrase la clé d’une bonne collaboration intergénérationnelle, ce serait quoi ?
LA CLÉ D’UNE BONNE COLLABORATION INTERGÉNÉRATIONNELLE
Ce pourrait être l’équation suivante :
Prêter une attention sincère à l’autre + s’ouvrir aux différences + prendre appui sur notre commun = créer et entretenir le lien humain !
Parce qu’en réalité, développer ce que j’appelle l’intelligence collective intergénérationnelle, c’est aussi un choix de société : celui du « vivre ensemble » et de l’entraide plutôt que de l’individualisme.
Comme je le dis à la fin de mon livre [le choc des générations n’existe pas, Eyrolles], l’intergénérationnel n’est absolument pas une fin en soi, mais une grille de lecture pour penser notre monde du travail souhaitable.
C’est « faire société » ensemble.
Pour finir, la question que je pose à tous les invités : Quel est le meilleur conseil carrière que tu pourrais donner ?
Apprendre à vous connaître pour clarifier votre valeur unique, votre singularité et aller là où votre cœur vous porte !
C’est ce que j’appelle dans mon livre la « PPVU », proposition personnelle de valeur unique. Terme emprunté au marketing pour décrire ce qui fait votre valeur unique, le récit de votre parcours professionnel et de vos talents.
Apprendre à vous connaître pour clarifier votre valeur unique, votre singularité et aller là où votre cœur vous porte !
Frédérique, mille mercis pour ce partage plein d’authenticité et de bienveillance. ❤
Pour aller plus loin, tu peux retrouver Frédérique sur LinkedIn, son dernier livre « Le choc des générations n’existe pas », et tu peux aussi retrouver son site ici.
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A lire aussi : Feedback au travail – Définition et mode d’emploi
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