On parle beaucoup de burn-out, de managers toxiques, de charge mentale mais rarement de santé mentale au travail au sens large, alors qu’en réalité, c’est là que tout commence.
Selon OpinionWay, 1 salarié sur 2 dit avoir déjà vécu un épisode de détresse psychologique lié au travail, et selon l’INRS, le coût du stress au travail dépasse les 3 milliards d’euros par an, rien qu’en France.
Et pourtant, personne ne nous apprend vraiment à repérer les signaux, à poser des limites, ou même à comprendre ce qui se joue en nous quand ça ne va plus.
C’est pour ça que j’ai eu envie d’interviewer Nathalie, psychologue du travail, médiatrice et coach professionnelle. Une experte qui accompagne chaque jour des personnes qui veulent retrouver du sens, du calme et un équilibre mental durable.
Dans cet échange, elle nous aide à répondre à une question essentielle : Comment protéger sa santé mentale au travail, avant d’aller trop loin ?
Installe-toi confortablement, et agréable lecture à toi 🤗
Hello Nathalie et bienvenue à toi. Est-ce que tu peux te présenter rapidement pour ceux qui ne te connaissent pas ?
Je suis psychologue du travail, médiatrice et coach professionnelle. Concrètement au quotidien, j’aide les gens à trouver du sens dans ce qu’ils font.
Je les aide à réparer les liens abîmés (avec un collègue, un manager, une équipe); et surtout, je développe avec eux des compétences essentielles à une bonne santé mentale, celles qu’on n’apprend nulle part : poser des limites, gérer le stress, comprendre ce qui se joue dans leurs réactions, faire des choix alignés.
Quand on parle de santé mentale au travail, de quoi parle-t-on exactement ?
LA SANTÉ MENTALE AU TRAVAIL C’EST QUOI
La santé mentale au travail est fonction de la possibilité qu’on a de combler nos besoins psychologiques fondamentaux (selon Klaus Grawe) à travers notre activité.
- le besoin de lien (un travail qui permet de créer des relations sécurisantes)
- le besoin d’orientation et de contrôle (avoir de la visibilité et une marge de manœuvre)
- le besoin d’estime de soi (se sentir reconnu et compétent)
- le besoin de plaisir et d’évitement de la douleur (trouver du sens, de la satisfaction, éviter la souffrance inutile)
Quand ces besoins sont comblés au travail, la santé mentale est soutenue. Quand ils sont entravés, la santé mentale se dégrade.
Et pourquoi est-ce que c’est devenu un enjeu majeur aujourd’hui dans le monde professionnel ?
L’IMPORTANCE DE LA SANTÉ MENTALE AU TRAVAIL
Pendant longtemps, on a fait comme si la vie professionnelle et la vie psychique étaient deux sphères séparées (Work-Life-Balance). Au plus tard quand le travail a envahi les espaces privés par le télétravail, cette frontière fictive a été gommée.
Avec l’accélération des mutations numériques, l’hybridation du travail et l’incertitude économique, il est devenu évident que la santé mentale conditionne directement la performance et la pérennité des organisations.
Ignorer les enjeux de santé mentale aujourd’hui se paie cash. Au sens propre, comme au figuré. Mais au-delà du calcul économique, c’est surtout une question éthique et le reflet d’un enjeu sociétal : les entreprises vont aussi bien que vont les personnes qui y travaillent.
Justement, pour les salariés, quels sont les signes précoces que quelque chose ne va pas et qu’il faut réagir ?
LES SIGNES PRÉCOCES SURVEILLER
La fatigue qui ne disparaît pas avec du repos, les troubles du sommeil, l’irritabilité, la baisse de concentration. Mais aussi des signaux plus subtils : la perte d’envie, la sensation que « le corps pèse », l’envie de se retirer. Et parfois, des changements alimentaires marqués : manger beaucoup plus ou beaucoup moins, avec une variation de poids rapide.
Ce qui est trompeur avec ces signes précoces, c’est qu’ils arrivent rarement de façon spectaculaire. On ne se réveille pas un matin en se disant « ça y est, je vais mal« . C’est progressif, insidieux. On normalise. On se dit qu’on est juste fatigué, que c’est passager, que tout le monde vit ça.
Ce qui devrait alerter, au-delà des symptômes eux-mêmes, c’est leur persistance et leur accumulation. Un signe isolé qui dure une semaine, c’est normal. Trois ou quatre signaux qui s’installent depuis un mois, c’est autre chose. Et surtout, cette impression diffuse que « quelque chose a changé« , dans son rapport à soi, aux autres et au quotidien.
Merci pour cette liste. Mais ces derniers ne surviennent pas sans aucune raison.
Quels sont selon toi les facteurs de stress les plus fréquents en entreprise ?
LES FACTEURS DE STRESS EN ENTREPRISE
Facteurs 1
Le manque de reconnaissance, des objectifs trop flous ou irréalistes, l’absence d’autonomie, les conflits relationnels. Si on reprend les besoins de Grawe : quand on manque de lien, de contrôle, d’estime de soi ou de sources de plaisir au travail, le stress devient inévitable.
Mais ce qui rend ces facteurs particulièrement toxiques, c’est leur combinaison et leur chronicité. On peut supporter temporairement un manager difficile si on a de l’autonomie. On peut gérer des objectifs flous si on se sent reconnu. Le problème, c’est quand plusieurs facteurs s’accumulent sans possibilité de régulation.
Facteurs 2
Ce qui revient systématiquement : l’imprévisibilité et l’impuissance. Ne pas savoir ce qu’on attend de nous. Ne pas pouvoir influencer les décisions qui nous concernent directement. Être pris dans des injonctions contradictoires : on demande de l’innovation mais on sanctionne l’erreur, on parle de bien-être mais on glorifie le présentéisme.
Facteurs 3
Et puis il y a ce facteur sous-estimé : la perte de sens. Quand on ne voit plus à quoi sert ce qu’on fait, quand le travail devient une série de tâches déconnectées, le cerveau se met en mode survie. On peut encaisser la charge si on comprend pourquoi. Sans ce pourquoi, même une charge modérée devient insupportable.
Le stress chronique en entreprise, c’est rarement un événement. C’est une érosion. Des petites frustrations quotidiennes qui s’accumulent sans que les besoins fondamentaux soient nourris.
Mais ce qui rend ces facteurs particulièrement toxiques, c’est leur combinaison et leur chronicité. (…) Le problème, c’est quand plusieurs facteurs s’accumulent sans possibilité de régulation.
Et comment distinguer un coup de fatigue passager d’un vrai problème psychologique lié au travail ?
COUP DE FATIGUE VS PROBLÈME PSYCHOLOGIQUE
La fatigue passagère se résorbe vite avec du repos. Quand les symptômes persistent, s’aggravent, ou débordent dans la vie privée, ce n’est plus une simple fatigue. C’est un signal d’alerte qui mérite d’être entendu.
La vraie différence, c’est la récupération. Après un weekend, des vacances, est-ce que vous revenez rechargé ou est-ce que vous repartez déjà épuisé ? Si le repos ne restaure plus rien, c’est que le problème est plus profond.
Autre indicateur : l’impact sur le reste de votre vie. La fatigue passagère reste contenue. Un vrai problème lié au travail envahit tout. Vous ruminez le soir, le weekend, vous dormez mal à cause de préoccupations professionnelles, vous n’avez plus d’énergie pour ce qui vous faisait plaisir avant.
Et puis il y a ce critère temporel. Si ça fait plus d’un mois que vous traînez cette fatigue, cette irritabilité, cette perte de motivation, ce n’est plus passager. C’est installé. Et ce qui est installé ne part pas tout seul.
Et une question un peu perso. Tu penses que le télétravail a amélioré ou aggravé la santé mentale des salariés ?
TÉLÉTRAVAIL ET SANTÉ MENTALE
Le télétravail n’est ni bon ni mauvais en soi, c’est un révélateur. Il révèle la qualité du management, la solidité des liens dans l’équipe, la capacité de l’organisation à faire confiance. Selon moi il a surtout amplifié ce qui était déjà là. Pour certains, il a apporté plus d’autonomie et d’équilibre. Pour d’autres, il a accentué l’isolement, effacé les limites pro/perso et multiplié les sollicitations numériques.

Quelles petites actions quotidiennes un salarié peut mettre en place pour préserver sa santé mentale ?
PRÉSERVER SA SANTÉ MENTALE AU TRAVAIL
1) Revenir aux bases
Bien dormir, bien manger, bouger régulièrement, découvrir et entretenir ses passions. Activer ses cinq sens (respirer, écouter, savourer, marcher dehors).
2) Nourrir les liens sociaux
Une conversation, un café, une visio informelle… ça fait une vraie différence.
3) Être régulier
Ce qui compte, ce n’est pas la performance de ces actions, c’est leur régularité. L’idée, c’est d’ancrer de petits rituels qui viennent interrompre le mode autopilote dans lequel le stress nous plonge.
Concrètement ça peut signifier: poser des limites claires. Éteindre les notifications le soir. Ne pas consulter ses mails avant d’avoir déjeuné. Bloquer dans son agenda des plages sans réunion pour respirer. Ce ne sont pas des caprices, c’est de l’hygiène mentale.
4) Parler
Et puis il y a ce geste sous-estimé : parler. Dire quand ça ne va pas. Pas forcément tout déballer, mais arrêter de faire semblant que tout roule. Un « je suis crevé » ou « cette semaine était dure » ouvre la porte à de vraies conversations. Ça brise l’isolement.
La santé mentale, ce n’est pas un projet à atteindre. Ce sont des micro-choix quotidiens qui disent : je compte, mon bien-être compte, et je ne sacrifie pas tout sur l’autel de la productivité.
Pour toi, à quel moment faut-il consulter un psychologue du travail ?
QUAND CONSULTER UN PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL
Quand on a l’impression d’avoir fait le tour de ses options, de tourner en rond et de répéter toujours les mêmes solutions inefficaces. Le psychologue du travail aide à prendre du recul, remettre du sens et ouvrir de nouvelles pistes. Pas besoin d’attendre d’être au bord de la rupture.
On consulte souvent trop tard, quand on est déjà épuisé, en arrêt maladie, ou en pleine crise. Mais le bon moment, c’est avant. Quand on commence à se sentir coincé, quand les mêmes problèmes reviennent en boucle, quand on ne sait plus comment démêler ce qui relève de soi, de l’organisation, ou de la relation avec son manager.
Le psychologue du travail n’est pas là pour vous dire quoi faire. Il aide à clarifier ce qui se joue, à identifier les mécanismes qui coincent, à explorer ce qui est possible dans votre marge de manœuvre. Parfois, c’est juste avoir un espace pour penser sans être jugé.
Un autre signe : quand le travail envahit tout et qu’on n’arrive plus à en parler autrement qu’en boucle avec ses proches. Quand on rumine, qu’on dort mal, qu’on a l’impression de perdre pied. À ce moment-là, un regard extérieur et qualifié change la donne.
Justement, on confond souvent.
Quelle est la différence entre consulter un médecin du travail, un psychologue du travail et un psychothérapeute ?
MÉDECIN DU TRAVAIL, PSYCHOLOGUE DU TRAVAIL, PSYCHOTHÉRAPEUTE
Le médecin du travail
Il a un rôle de prévention et de protection. Il évalue si votre environnement de travail est compatible avec votre santé, peut prescrire un arrêt, recommander un changement de poste ou des aménagements. C’est un interlocuteur clé quand il y a un danger immédiat pour votre santé physique ou psychique.
Le psychologue du travail
Il se concentre sur la dynamique professionnelle. Pourquoi ce conflit avec votre collègue vous affecte autant ? Comment retrouver du sens dans votre poste ? Quels leviers activer pour améliorer votre situation ? Il travaille sur le contexte, les interactions, l’organisation. C’est un accompagnement centré sur le « ici et maintenant » professionnel.
Le psychothérapeute
Il creuse plus loin. Il s’intéresse à ce qui se répète, aux blessures anciennes qui se réactivent au travail, aux patterns relationnels qui vous enferment. Pourquoi vous épuisez-vous systématiquement ? Pourquoi avez-vous du mal à poser des limites ? C’est un travail de fond, qui dépasse le cadre professionnel.
Dans l’idéal, ces trois regards peuvent se croiser. Le médecin du travail protège, le psychologue du travail dénoue, le psychothérapeute reconstruit. Chacun a sa place selon ce dont vous avez besoin
Pour ceux qui veulent faire de leur santé mentale une priorité, quelles ressources recommandes-tu ?
LES RESSOURCES POUR PRENDRE SOIN DE SA SANTÉ MENTALE
- Un classique qui donne du sens et remet tout en perspective : Les 7 habitudes de ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent de Stephen R. Covey.
- Des applis comme Petit Bambou pour s’initier à la méditation.
- Les dispositifs d’écoute proposés en entreprise.
Et, pour des pistes régulières, suivre mon profil LinkedIn où je partage beaucoup sur la santé mentale au travail.
Qu’est-ce que tu pourrais dire à quelqu’un qui sent qu’il est au bord du burn-out ?
Qu’il n’est pas seul, que son épuisement n’est pas une faiblesse mais un signal d’alarme. L’urgence, c’est d’arrêter de lutter seul et d’en parler : à son médecin ou psychologue.
S’arrêter, c’est se donner la chance de guérir et de redevenir utile. D’abord pour soi-même, ensuite pour les autres.
Et enfin, quel est le meilleur conseil carrière que tu as reçu ou que tu donnerais aujourd’hui ?
On dit que le meilleur outil du psy, c’est lui-même. Avec le temps, j’ai compris que c’est vrai pour tout le monde : nous sommes notre premier asset. Et cela implique deux choses. D’abord, apprendre à nous connaître. Ensuite, prendre soin de nous.
Se connaître, concrètement, ça veut dire identifier vos modes de fonctionnement. Ce qui vous stresse, ce qui vous motive, comment vous réagissez sous pression, quelles sont vos limites réelles. Vos ambitions aussi, et le prix que vous êtes prêt à payer pour. Choisir vos regrets. Embrasser vos rêves. C’est la seule façon de jouer avec vos forces au lieu de vous épuiser à corriger vos faiblesses.
Et c’est comme ça qu’on construit une carrière qui tient, parce qu’elle repose sur quelque chose d’intrinsèque.
Nous sommes notre premier asset. Et cela implique deux choses. D’abord, apprendre à nous connaître. Ensuite, prendre soin de nous.
Mille mercis Nathalie pour toutes les pépites partagées ❤️.
Si tu souhaites aller plus loin, tu peux retrouver Nathalie sur LinkedIn,
Tu peux aussi la retrouver dans Job Master pour lui poser toutes tes questions.
P.S : si tu as aimé l’article, fais-le moi savoir avec un ❤️ ici 👇 ou un commentaire.
C’est super encourageant et ça me permet de pouvoir traiter encore plus de questions liées au bien-être au travail.
A lire aussi : Epanouissement et confiance en soi au travail



Laisser un commentaire